Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/303

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nière, comme il a celebre Héraclès ou la vierge Hypatie. Dans un de ses morceaux les plus connus, il nous montre le Nazaréen — c’est le titre de la pièce — poussant sur la croix son cri de détresse et d’abandon. Ce cri est celui de l’impuissance et du désespoir, écho précurseur de toutes les voix de l’avenir qui s’élèveront centre lui et l’accuseront d’avoir menti :


Pâle crucifié, tu n’étais pas un Dieu.


Mais non, s’écrie le poëte, tu n’as pas menti, et ta gloire est au-dessus des atteintes des hommes :


Car tu siéges auprès de tes égaux antiques,
Sous tes longs cheveux roux dans ton ciel chaste et bleu ;
Les âmes, en essaims de colombes mystiques,
Vont boire la rosée à tes lèvres de Dieu.


On peut définir en deux mots la religion poétique de Leconte de Lisle : c’est une fuite dans le passé pour échapper au présent. Cette fuite s’arrête-t-elle aux grandes légendes, aux héros, aux demi-dieux. aux mythologies ? Non, elle va plus loin ; elle remonte des symboles aux réalités, et des religions qui interprètent la nature à la nature elle-même. C’est aller à la source. Mais la nature qu’il chante n’est pas cette bonne petite nature bourgeoise, que nous avons arrangée de nos mains, que nous avons convertie en jardins, en vergers, en bosquets, en forêts regulièrement entretenues : il n’aime ni l’agriculture, ni la