Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/307

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solennelles, toutes les perspectives infinies, et où le mouvement, lent et grave, n’apparaît un instant que pour faire mieux ressortir l’universelle immobilité. Il y a de la passion dans ce tableau étrange tracé par un poëte qui se pique d’être impassible, et cette passion est toujours la même, le dégoût de l’homme et de ses vanités fiévreuses.

Si j’en avais le loisir, je m’arrêterais ici quelques instants, et je vous montrerais, dans l’histoire de la littérature française, le même sentiment produisant des effets analogues, mais toujours plus énergiques. Jean-Jacques Rousseau fuyait déjà la société des hommes ; mais il n’avait pas eu besoin de chercher bien loin un refuge pour les enfants de ses rêves. C’est sur les bords de notre lac que Julie, revenue de ses premières erreurs, préside dans sa maison à un nouvel âge d’or. Mais Rousseau n’était encore misanthrope qu’a demi ; il croyait à I’avenir, au progrès, à une réforme possible des institutions et des mœurs. Pour Bernardin de Saint-Pierre, son cadet d’une génération, moins sombre peut-être, mais bien autrement chimérique, le lac Léman se trouve trop rapproché des foyers d’infection ; il mit la mer entre le monde et les héros de ses rêves. Ensuite vint Chateaubriand, un autre grand rêveur, peut-être moins chimérique, mais sceptique et dégoûté. Pour lui, l’île de Paul et Virginie a le tort d’être sur le chemin des navires ; on y rencontre des Européens ; elle a un