Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/317

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entre ce symbole et celui de l’aigle de jadis, qui allait droit au soleil. L’aigle, c’etait l’oiseau de la foi ; le condor, c’est l’oiseau de la science. Il a regardé, il a vu, et il a trouvé qu’il ne vaut pas la peine de voir. La poésie qui s’est incarnée dans ce symbole est une poésie que la science a blessée au cœur.

Les critiques de l’avenir et c’est en quoi ils seront mieux placés que nous pourront dire comment la poésie aura fait pour arracher de son sein le dard empoisonné, car enfin, il faut qu’elle l’arrache, il faut qu’elle guérisse, sous peine de mourir. La science peut certainement fournir des motifs à la poésie, mais elle n’est pas la poésie, et si les poëtes en étaient reduits à nous répéter éternellement l’histoire du sommeil du condor, ils auraient bientôt épuisé le peu de patience qui reste encore au public. On me dira qu’il y a un moyen bien simple, qui est de retourner à la religion. C’est juste, mais c’est plus vite dit que fait ; il faudrait préciser d’ailleurs, car le monde ne paraît pas disposé à retourner purement et simplement au joug qu’il a secoué. Certaines émancipations ont tout l’air de devoir être definitives. Quoi qu’il en soit, les poëtes actuels, les cadets de Leconte de Lisle, les jeunes, ceux qui donnent le signal, n’ont pas l’air de prendre ce chemin ; on ne les entend pas chanter de nouveau le trône et l’autel. Mais j’en vois quelques-uns, et c’est, je pense, par là que la poésie commencera à secouer le pesant sommeil du condor,