Page:Ranc - Souvenirs-correspondance, 1831-1908.djvu/14

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quefois récompensé de sa peine. Si laid et si triste que fût Poitiers, !a vieille cité avait une tournure moyen-âge des plus intéressante et sans aucune recherche de romantisme. On n’y trouvait pas de ces maisons à façades extrêmement ouvragées que tous les badauds vont voir et que le Comité des monuments historiques conserve à grands frais. Poitiers était naturellement une vieille ville. Il semblait qu’il eût toujours été le même et ne dût jamais changer. Puis, les environs immédiats en sont délicieux et l’on a, de la promenade de Blossac, la vue la plus agréable du monde, sur une vallée où serpente le Clain, presque enseveli sous les larges feuilles de nénuphars, entre deux haies de vergnes et de peupliers.

Aujourd’hui, avec les chemins de fer, les voyageurs passent aussi vite qu’ils peuvent et n’ont garde de s’arrêter pour aller visiter des rues qui ont une réputation parfaitement établie de laideur et de tristesse, des rues dont l’herbe a pris souvent possession. On ne monte pas en ville à moins d’y avoir affaire. Or, il est bien rare que quelqu’un ait affaire à Poitiers.

Encore quelques années du reste et la ville ne gardera plus rien de son caractère primitif. L’Empire a trouvé moyen de gâter Poitiers. Ne souriez pas. Rien n’est plus vrai, Poitiers a été non pas haussmanisé mais soubeyranisé[1]. Il s’y est constitué, à l’instar de Paris, des Compagnies immobilières qui ont percé des rues et construit des hôtels.

  1. Le baron de Soubeyran, sous-directeur du Crédit Foncier, était député de la Vienne en 1863-1870.