Page:Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française.djvu/16

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bles, décèlent presque toujours le département de celui qui parle.

L’organisation, nous dit-on, y contribue. Quelques peuples ont une inflexibilité d’organe qui se refuse à l’articulation de certaines lettres : tels sont les Chinois, qui ne peuvent prononcer la dentale r ; les Hurons qui, au rapport de La Hontan, n’ont pas de labiale, &c. Cependant si la prononciation est communément plus douce dans les plaines, plus fortement accentuée dans les montagnes ; si la langue est plus paresseuse dans le nord & plus souple dans le midi ; si, généralement parlant, les Vitriats & les Marseillais grassaient, quoique situés à des latitudes un peu différentes, c’est plutôt à l’habitude qu’à la nature qu’il faut en demander la raison. Ainsi n’exagérons pas l’influence du climat. Telle langue est articulée de la même manière dans des contrées très-distantes ; tandis que dans le même pays la même langue est diversement prononcée. L’accent n’est donc pas plus irréformable que les mots.

Je finirai ce discours en présentant l’esquisse d’un projet vaste & dont l’exécution est digne de vous ; c’est celui de révolutionner notre langue : j’explique ma pensée.

Les mots étant les liens de la société & les dépositaires de toutes nos connoissances, il s’ensuit que l’imperfection des langues est une grande source d’erreurs. Condillac vouloit qu’on ne pût faire un raisonnement faux sans faire un solécisme, & réciproquement : c’est peut-être exiger trop. Il seroit impossible de ramener une langue au plan de la nature, & de l’affranchir entièrement des caprices de l’usage : le sort de toutes les langues est d’éprouver des modifications ; il n’est pas jusqu’aux lingères qui n’aient influé sur la nôtre, & supprimé l’aspiration de l’h dans les toiles d’Hollande. Quand un peuple s’instruit, nécessairement sa langue s’enrichit, parce que l’augmentation des connoissances établit des alliances nouvelles entre les paroles & les pensées & nécessite des termes nouveaux. Vouloir condamner une langue à l’invariabilité sous ce rapport, ce seroit condamner le génie national à devenir stationnaire ; & si, comme on l’a remarqué depuis Homère jusqu’à Plutarque, c’est-à-dire, pendant mille ans, la langue grecque n’a pas changé, c’est que le peuple qui la parloit a fait très-peu de progrès dans ce laps de siècles.

Mais ne pourroit-on pas au moins donner un caractère plus prononcé, une consistance plus décidée à notre syntaxe, à notre prosodie ; faire à notre idiôme les améliorations dont il est susceptible, &, sans en altérer le fonds, l’enrichir, le simplifier, en faciliter l’étude aux nationaux & aux autres peuples. Perfectionner une langue, dit Michaelis, c’est augmenter le fonds de sagesse d’une nation.

Sylvius, Duclos & quelques autres ont fait d’inutiles efforts pour assujettir la langue écrite à la langue parlée ; & ceux qui