Page:Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française.djvu/7

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En veut-on un exemple plus frappant ? Le génie noir chez les Celtes ; plus noir que la poix, dit l’Edda ; l’éphialtes des Grecs, les lémures des Romains, les incubes du moyen âge, le sotre vers Lunéville, le drac dans le ci-devant Languedoc, le chaoucebreille dans quelques coins de la ci-devant Gascogne, sont depuis 40 siècles le texte de mille contes puérils, pour expliquer ce que les médecins nomment le cochemar.

Les Romains croyoient qu’il étoit dangereux de se marier au mois de mai ; cette idée s’est perpétuée chez les Juifs ; Astruc l’a retrouvée dans le ci-devant Languedoc.

Actuellement encore les cultivateurs, pour la plupart, sont infatués de toutes les idées superstitieuses que des auteurs anciens, estimables d’ailleurs, comme Aristote, Élien, Pline & Columelle, ont consignées dans leurs écrits : tel est un prétendu secret pour faire périr les insectes, qui des Grecs est passé aux Romains, & que nos faiseurs de maisons rustiques ont répété. C’est sur-tout l’ignorance de l’idiôme national qui tient tant d’individus à une grande distance de la vérité : cependant, si vous ne les mettez en communication directe avec les hommes & les livres, leurs erreurs accumulées, enracinées depuis des siècles, seront indestructibles.

Pour perfectionner l’agriculture, & toutes les branches de l’économie rurale si arriérées chez nous, la connoissance de la langue nationale est également indispensable. Rozier observe que, d’un village à l’autre, les cultivateurs ne s’entendent pas : après cela, dit-il, comment les auteurs qui traitent de la vigne, prétendent-ils qu’on les entendra ? Pour fortifier son observation, j’ajoute que, dans quelques contrées méridionales de la France, le même cep de vigne a trente noms différens. Il en est de même de l’art nautique, de l’extraction des minéraux, des instrumens ruraux, des maladies, des grains & spécialement des plantes. Sur ce dernier article, la nomenclature varie non-seulement dans des localités très-voisines, mais encore dans des époques très-rapprochées. Le botaniste Villars, qui en donne plusieurs preuves, cite Sollier qui, plus que personne, ayant fait des recherches, dans les villages, sur les dénominations vulgaires des végétaux, n’en a trouvé qu’une centaine bien nommés. Il en résulte que les livres les plus usuels sont souvent inintelligibles pour les citoyens des campagnes.

Il faut donc, en révolutionnant les arts, uniformer leur idiôme technique ; il faut que les connoissances disséminées éclairent toute la surface du territoire français : semblables à ces réverbères qui, sagement distribués dans toutes les parties d’une cité, y répartissent la lumière. Un poëte a dit :