Page:Raynaud - La Mêlée symboliste, I, 1918.djvu/32

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Les réunions avaient lieu dans la salle du bas, le jeudi soir. Le patron, porté à la lésine, y rationnait le gaz de telle sorte qu’il n’y flottait jamais qu’une demi-clarté et que l’arrière-fond restait noyé d’une ombre tenace, qu’accentuait le nuage aggloméré des fumeurs. Parfois un couple s’y dissimulait, trahi aux intervalles de silence par son seul chuchotement. Térence Cros, le neveu du poète, y avait introduit une coutume de courtoisie. Les arrivants étaient salués d’une petite rumeur d’attention et de leur nom jeté à haute voix. A la table d’honneur, Cros se tenait, tantôt pétillant de paradoxes et d’entrain, tantôt (il était sur son déclin) écroulé contre le mur, anéanti dans une torpeur silencieuse. La présidence effective était alors accaparée par son fidèle lieutenant, son inséparable Louis Marsolleau. Ce dernier, dans tout l’éclat de son premier printemps, était la vedette du lieu.

A Rebours avait paru. La mode était aux élégances mièvres et raffinées. Marsolleau, levé, quittait sa pipe, et récitait d’une voix dolente des vers charmants :

MOI


J’ai dans mon sang le sang des époques hautaines,
Je suis le petit-fils des marquises lointaines
Et des trouvères blonds, de grâce revêtus,
Qui passaient — de châteaux en châteaux attendus