Page:Reclus - Le Mariage tel qu’il fut et tel qu’il est.djvu/12

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tique dicton : mobile comme l’onde, eût jadis semblé dépourvu de saveur et privé de sens, si on l’eût appliqué à d’autres qu’au sexe fort.

Peu à peu le rapt s’était consolidé en mariage. De même la rapine, prenant assiette et consistance, était devenue propriété par sa transmission à l’enfant, et cette transmission dans la même lignée, de mère en fille, ou d’oncle à neveu, constitua le groupe familial. Longtemps la famille se ressentit des actes de violence qui l’avait inaugurée ; son chef, investi du droit de vie et de mort, l’exerçait à sa fantaisie ; la « famille » signifiait alors chiourme domestique, popote d’esclave. La liberté relative dont elle jouit présentement ne fut conquise que par de persévérants efforts ; de longtemps ce mot de liberté n’eût pas ce caractère moral que nous lui avons attribué, et quand nous l’appliquons aux périodes primitives, ce devrait être à bon escient. Maintes fois, la mère des héritiers ou des héritières resta dans la condition servile, et les maisons princières de l’Orient contemporain nous en montrent de fréquents exemples. Toutefois, les institutions matriarcales relevèrent sensiblement la situation sociale faite à la mère et la situation civile faite à la femme.

Le rapt était si bien entré dans les mœurs, paraissait chose si décente et convenable, que lorsque les filles ne furent plus enlevées de force, les mariages étaient précédés par un simulacre d’enlèvement, comédie qu’on se donne toujours en plusieurs de nos cantons. Quand les femmes ne furent plus « gagnées à la pointe de la lance », le père les livrait au futur genre contre des bêtes à cornes, contre des cuirs ou des fourrures. Les bonnes maisons ne se défaisaient qu’à bon prix de leurs demoiselles, qui elles-mêmes mettaient vanité à se faire payer cher. Pour ne pas déprécier la marchandise, les parents veillaient à ne pas encombrer le marché, et les mères — les mères, disons-nous — calculaient qu’il valait mieux étouffer leurs fillettes en bas âge que, plus tard, les vendre au rabais.

Les plus entichées de noblesse supprimaient d’emblée toutes celles qui leur naissaient, assurées d’avance qu’aucun acquéreur ne pourrait solder ce riche morceau. Si les garçons eussent été en nombre, ils auraient poussé aux enchères, mais on avait pris la précaution d’éclaircir les rangs ; on les avait fait s’entr’assommer gaillardement en maintes rencontres et escarmouches. Ces époques