Page:Reclus - Le Mariage tel qu’il fut et tel qu’il est.djvu/18

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polyandrie, est la polygamie, dans laquelle versa en Orient tout ce qu’il y avait de plus riche et de plus puissant. Ce fut un autre moyen d’émanciper le sexe fort de la tyrannie du sexe faible. On disait, avec une certaine raison, que trois femmes exercent moins d’empire sur un seul homme, qu’une seule femme sur trois maris. La primitive Église permit le mariage, mais comme exutoire de la luxure, déclarant hautement ses préférences pour la virginité, que de grands docteurs assurèrent efficacement en interdisant aux jeunes chrétiennes de se baigner jamais, et leur intimant de ne se laver que d’une main seulement. L’antique loi romaine, dure à l’encontre de la femme, dont elle faisait une éternelle mineure, toujours sous la tutelle du père, du mari, du fils ou des petits-fils, servit de type aux générations qui suivirent, et nous régit encore. Le Moyen-Âge, que certains ne veulent voir que dans les Cours d’Amour et les joutes en l’honneur des dames, fut pour les femmes une époque malheureuse entre toutes. Rappelez-vous une légende bien connue, celle de Grisélidis. L’épouse du comte de Saluces accepta sans murmure toutes les rebuffades, toutes les injustices de son mari. Il la fit abreuver d’insultes par une rivale, Grisélidis ne se révolta point. Grisélidis resta humble et soumise quand le barbare lui enleva ses enfants soi-disant pour les égorger… La patiente Grisélidis, comme on l’appelait, était l’idéal de l’épouse vertueuse au temps où l’on bâtissait les cathédrales. Si telle était la poésie, qu’était donc la réalité ? Dirons-nous comment de jeunes barons, inopinément, expédiaient leur mère à tel ou tel, auxquels ils en faisaient cadeau pour épouse ? Dirons-nous les coups de pieds dont en plusieurs cantons on gratifiait officiellement la nouvelle épouse, les soufflets que lui administraient beau-père et belle-mère ? Quand le grand-duc de Moscovie mariait sa fille, il la remettait entre les mains du futur époux, auquel il passait certain knout à tresse de cuir : « Mon gendre, à ton tour ! ». Le knout, instrument grossier, fut, avec le progrès des belles manières, remplacé par un fouet à manche sculpté, avec cordes en soie rouges, que les gentilshommes déposaient délicatement dans la corbeille de leurs promises. Encore aujourd’hui, en telle tribu bengalaise, le galant rive lui-même au bras de sa fiancée un gros anneau, solidement forgé ; s’il vient à divorcer, il déboulonne la ferraille, l’assujettit à un autre poignet. Et sans aller jusqu’en Asie, n’avons-nous pas tous remarqué dans les cimetières ces mauvais petits tableaux : une main blanche émerge de la dentelle, encastrée dans un bracelet d’où pendent les maillons d’une chaîne brisée… ? Pas besoin d’appartenir à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres pour expliquer le gracieux symbole.