Page:Reclus - Le Mariage tel qu’il fut et tel qu’il est.djvu/22

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l’époux n’introduira pas une concubine sous leur toit. Aux enfants surtout, qu’ils seront couverts par le nom du père, nom dont la privation peut être funeste. Misérable, en effet, est la condition faite à la progéniture extra-légale. La réprobation s’attache à la mère non mariée, et poursuit les enfants ; la loi persécute ces innocents, les traite en coupables, les dépouille par les moyens dont elle dispose : ce qu’elle montre fort bien au chapitre « Successions ». Finalement, ajoute-t-on, « si toutes les précautions sont inutiles, si le conjoint trahit la conjointe, ou la conjointe le conjoint ; si les parents eux-mêmes fraudent leurs enfants, on peut, on doit invoquer la vindicte de la loi, qui punit la perversité qu’elle n’a pas su prévenir. »

— Oui, tout est possible ! répondons-nous. Mais la vindicte légale nous importe peu. Et nous demandons ce que garantissent tant de garanties ? On parle de séductions, d’abandons et de trahisons ; on montre des serments viciés, d’ignobles parjures… — Allons au fond des choses. À tromper ou être trompé, il n’est point de remède. Que l’époux auquel on s’était fié démasque sa mauvaise foi, qu’il soit assez lâche pour maltraiter sa femme, et pour laisser souffrir des enfants auxquels il devrait donner le pain du travail… eh bien ! sa vilenie constatée, une femme qui se respecte le laissera partir sans regret, ne lui demandant qu’une chose : ne reparais plus en ma présence ! Car si elle lui permettait de renouer et de le fréquenter à nouveau, les honnêtes gens auraient droit de les dire complices. — Et si l’épouse qu’on croyait fidèle trahit promesses et devoirs, se montre menteuse et perfide, si elle disparaît avec un mauvais compagnon…, voudrait-on la réintégrer au foyer de la famille ? Tout de suite, ou après l’après l’avoir logée entre les murs d’une prison, pour y être moralisée par les bons soins d’un aumônier et des porte-clefs ? — « Tu es partie, lui dirait-on, ne reviens plus. »

Que nous font les garanties, si déjà nous tenons en piètre estime l’union qu’il faudrait garantir ? L’amour méprise, il refuse tout autre répondant que lui-même. À l’amour, chose suave, à l’amour, chose délicate et fière, qu’importent précautions, autorisations et permissions ? Quoi qu’on veuille, quoi qu’on fasse, c’est utopie que de garantir le dévouement par l’intérêt personnel, absurdité d’asseoir l’affection sur l’égoïsme, de minuter la sincérité sur papier timbré, de plomber la tendresse avec les cachets de la douane.