Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

au remords et un peu plus allait l’empêcher de vivre sa vie.

Pierre a retrouvé son voisin d’atelier et il pense que le hasard a bien fait les choses, car ce voisin d’atelier on lui dit qu’il n’est pas un vulgaire petit peintre mais un jeune musicien que vient de révéler une partition écrite pour un ballet. Pierre n’a pas été au ballet mais il a entendu parler du compositeur, Arthur Bruggle.

Arthur Bruggle. Autour de ce nom, encore inconnu voilà quelques mois, brille une auréole de mystère. On raconte beaucoup de choses et la vérité, certes, n’est pas si mal.

Bruggle est venu d’Amérique en lavant la vaisselle et les verres. Au Havre, il n’avait pas même de quoi prendre un billet de troisième classe pour Paris. Alors, il a échoué comme pianiste dans un petit beuglant. Pour les marins américains, les nègres qui venaient user la nuit avec un dernier alcool, il se rappelait certains rythmes, bouquets cueillis dans une vie antérieure, sauvage. Alors les yeux soudain illuminés, comme si ses paupières allaient grandir, jusqu’à ce que de l’une à l’autre ressuscitât la mer entière, ses narines grandes ouvertes au souffle de sa propre bouche, à l’odeur de ses lèvres qui sentaient l’alcool, mais plus simplement qu’une fleur son parfum, Arthur, comme le médium qui, d’une substance aussi insensible que