Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

chambre la photographie d’une femme de couleur. Il achète des traités d’harmonie. Tout le jour il travaille. La nuit, il se promène seul dans Paris qu’il rêve de conquérir. Il va sous la pluie, les deux mains dans les poches d’un raglan qui commence à ne plus être tout à fait imperméable. Il a découvert la Seine et ses quais, appris qu’on appelle les poireaux asperges du pauvre, et que, chez certains bistrots, quand on veut une bouteille de vin, on demande un kilo de blanc. Il a lu « La Nuit au Luxembourg » de Remy de Gourmont et rencontré le ridicule et charmant petit chemin de fer qui descend le boulevard Saint-Michel et gagne les Halles où les légumes sont plus beaux que les fleurs. Il a parcouru les diverses rues de Montmartre mais, trop pauvre, n’a pu entrer dans aucun des bars dont, au reste, les jazz lui ont semblé, du trottoir, bien inférieurs à ceux de New York. Souvent il a froid. Il est près de pleurer et un peu plus il retournerait au piano de la boîte de nuit qu’il déteste. Mais il se raidit, se répète qu’il lui faut devenir un des rois de Paris, un jeune homme doré et que, de tout et même de son prénom ridicule, il peut, s’il n’est pas maladroit, tirer une séduction nouvelle.

Dans les discussions qu’il a chaque soir avec lui-même, il se juge comme s’il était un étranger et s’appelle M. Arthur. M. Arthur, il aurait dansé de joie, la première fois que la bonne de la pen-