Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/126

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D’une cabine téléphonique où l’impatience multiplie la force des souvenirs, Pierre se rappelle qu’il a toujours eu honte. Honte de son visage irrégulier, chaotique où seul, pense-t-il, le regard met une lueur intermittente et incontestable d’intelligence. Honte de son corps et, ce qui est le comble, honte des compliments, des désirs qu’il lui a valus (par exemple le tu es une chanterelle du boxeur). Honte des gestes et de celui d’amour dont le besoin ne l’habite que pour mieux permettre le triomphe du dégoût dans sa chair fripée. Honte de ses pensées, l’essentiel de lui-même sans doute, puisqu’il ne peut rien contre leur surprise et que demeurent impuissantes les volontés qui les condamnent et que, toujours, il a, de sang-froid, jugées les meilleures.

Par la faute de cette honte, il se dit qu’aucun être, et Bruggle lui-même en qui, cependant, il s’efforce de découvrir la perfection. ne saurait tirer de soi quelque juste sentiment d’orgueil ou de respect. Seule la comparaison que chacun essaie entre sa vie et celle des autres permet de se relativement bien juger, et encore non dans la totalité de la personne dont les éléments par incurable mimétisme, à chaque rencontre, se transforment et sans qu’il soit possible, en fait, de rien démêler à l’écheveau des réflexes. C’est pourquoi, dans une paire d’amis ou un couple, celui qu’une exaltation en vérité grandit, toujours, consciemment ou non,