Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/127

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tentera de se diminuer aux yeux de l’autre. Ainsi Pierre se sous-estime pour admirer Bruggle. À la vérité, s’il était capable de le juger autrement que d’après soi, il aurait notion des qualités particulières à Bruggle et dont il lui serait si facile d’être le sourcier. Pierre qui ne sent point ses limites et, de ce fait, doute de son existence propre, Pierre qui ne perçoit distinctement aucun de ses instincts, de ses goûts spontanés, non qu’il en soit dépourvu, mais parce que tous, au plus profond de lui, bouillonnent, alors que souvent il se croit confondu en d’autres âmes et que seule une presqu’île singulière lui permet de s’affirmer hors du continent universel et anonyme, jamais cependant n’est simple à devenir miroir, et même il s’est toujours refusé à tout ce qui, de Bruggle, pouvait l’enrichir et n’a point, de lui, appris à aimer les cravates aux belles couleurs, les souliers longs et larges, les objets et les gestes qui prouvent à l’homme sa puissance et, pas plus que n’importe lequel des autres, le geste d’amour. Bruggle qui le domine ne l’a point allégé des vieilles hantises. Esclave de soi, alors qu’il a cru tout donner, c’est à croire qu’il lui manque le sens ou les antennes grâce à quoi il pourrait comprendre en quel bonheur Bruggle, petit sauvage, cherche sa dignité. La plus égoïste des femmes toujours saura mieux s’oublier que le plus détaché des hommes. Pierre qui est persuadé de son humilité et, pour Bruggle,