Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/154

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Au contraire, si j’avais aimé Diane (et si je n’avais pas connu Arthur, j’aurais cru l’aimer, je l’aurais épousée) c’eût été une vie aussi plate et même pas aussi heureuse, par conséquent moins excusable, que celle que peut lui faire n’importe quel honnête garçon et par exemple le premier ingénieur chimiste venu du genre de l’Edouard Cloupignon que son cousin Honoré Bricoulet a voulu lui faire épouser. Au fait, si je lui parlais de ce Cloupignon. Son amour-propre sera flatté. Et puisqu’elle-même avait accepté de se prêter aux manigances de ce mariage projeté, elle ne pourra plus me reprocher, par des mots, une intonation ou des yeux trop grands ouverts, Bruggle. Allons… Dis-moi Diane, as-tu revu ton ingénieur chimiste, où en sont ses chances ?

Diane laisse éteindre sa cigarette. Elle pense que Pierre est jaloux, car s’il ne l’était pas, il ne se soucierait nullement de l’ingénieur chimiste. Donc, il tient à elle et elle a eu tort de craindre son indifférence. Que Pierre répète sa question elle sourit, d’autant plus heureuse que moins prête à sentir, dans ce ton bref et cette moue, le seul dépit de la croire fière d’un mari possible et fière au point qu’il suffise de prononcer son nom, pour la faire se pâmer d’aise.

Sous le masque elle a enfin retrouvé celui qu’elle aime et tel qu’elle l’aime. Elle n’a plus peur qu’il se laisse flotter sur un silence ou des mots vagues aussi faussement paisibles qu’endormants et dont les lames