Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/85

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le sien. Sur le sol mouillé la plus faible lueur multipliait toute tristesse. Il marchait et le froid se faisait maillot sous les vêtements, le linge. Ses dents claquaient. Son squelette souffrait seul et tout entier, car déjà ce squelette avait dévoré sa chair. Ce qui, de son corps, demeurait apte au bonheur se fanait. Dans ses poches, ses mains étaient des fleurs sans sève, sans couleur. Alors il entrait n’importe où, non pour trouver quelque secours précis humain, car s’il cherchait à retarder la débâcle c’était par d’étranges aides et il n’eût su que faire d’une peau habitée par un esprit semblable au sien. Il se rappelle. On ferme les yeux, on respire, on avale n’importe quoi et, au bout de dix minutes, les paupières ne craignent plus de se relever car un monde nouveau s’épanouit à la place des vieux décombres.

Le corps n’est plus une chair condamnée au malheur, le corps n’a plus froid. Il saute, vole, ne pèse pas plus qu’une chanson dans le soleil de minuit.

Le soleil de minuit !

Hélas ! sept heures viennent tout juste de sonner. Pierre doit se souvenir d’un salon d’Auteuil, d’un petit salon où il demeure immobile tandis que deux yeux le contraignent au plus dur examen. Il n’y a plus de bonté ce soir sur la terre. Même la rue doit exagérer la cruauté jusqu’à ne plus offrir une seule de ses promesses, aimants pour les pieds las, mouillés, dans des