Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/94

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même jusqu’à se demander si ses yeux, ses oreilles et ce sens caché qui lui permettait de chérir l’invisible et que dans son langage d’enfant il appelait son « cœur » n’étaient point les yeux, les oreilles, le cœur d’un petit monstre puisque, après avoir écouté certains propos d’office, s’il essayait de préciser l’attrait mystérieux que, selon les affirmations de la cuisinière, la femme ne pouvait manquer d’exercer sur l’homme, il n’arrivait point à croire que sa mère pût participer d’aucun charme et fût capable par les détails de sa chair ou de son esprit d’intéresser celui qu’il savait qu’était son père et que lui-même deviendrait. D’autre part, jamais il n’eut pour la poitrine maternelle aucune de ces curiosités qui le tenaient pâmé tout contre les corsages des visiteuses, dont le colonel aimait à respirer longuement les mains, aucune de ces douces angoisses, non plus, qui l’arrêtaient net sur les trottoirs devant les caracos bien tendus des filles qui vendent des violettes dans les rues, l’hiver, et qu’il appelait bohémiennes au temps des ballons rouges.

Ainsi, plus tard, lorsqu’un boxeur rencontré dans un bar, qui lui avait offert des leçons de culture physique avec un sourire dont Pierre n’avait pas spontanément saisi les sous-entendus, lui eut dit : « Tu es une chanterelle, mais il ne faut pas t’accuser d’être mal foutu », et que cette chanterelle, l’Hercule au nez cassé mais à la peau couleur de rose eut essayé de la faire vibrer