Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/115

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seur sur l’avenir de la raison, ce serait sans doute l’absence de la grande originalité, et le peu d’initiative que semble révéler l’esprit humain, à mesure qu’il s’enfonce dans les voies de la réflexion. Quand on compare les œuvres timides que notre âge raisonneur enfante avec tant de peine aux créations sublimes que la spontanéité primitive engendrait, sans avoir même le sentiment de leur difficulté ; quand on songe aux faits étranges qui ont dû se passer dans des consciences d’hommes pour créer une génération d’apôtres et de martyrs, on serait tenté de regretter que l’homme ait cessé d’être instinctif pour devenir rationnel. Mais on se console en songeant que, si sa puissance interne est diminuée, sa création est bien plus personnelle, qu’il possède plus éminemment son œuvre, qu’il en est l’auteur à un titre plus élevé en songeant que l’état actuel n’est qu’un état pénible, difficile, plein d’efforts et de sueurs, que l’esprit humain aura dû traverser pour arriver à un état supérieur ; en songeant enfin que le progrès de l’état réfléchi amènera une autre phase, où l’esprit sera de nouveau créateur, mais librement et avec conscience. Il est triste sans doute pour l’homme d’intelligence de traverser ces siècles de peu de foi, de voir les choses saintes raillées par les profanes et de subir le rire insultant de la frivolité triomphante. Mais n’importe ; il tient le dépôt sacré, il porte l’avenir, il est homme dans le grand et large sens. Il le sait, et de là ses joies et ses tristesses : ses tristesses, car pénétré de l’amour du parfait, il souffre que tant de consciences y demeurent à jamais fermées ; ses joies, car il sait que les ressorts de l’humanité ne s’usent pas, que pour être assoupies, ses puissances n’en résident pas moins au fond de son être, et qu’un jour elles se réveilleront pour étonner de leur fière ori-