Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/121

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réel, celui qui ne repose pas sur les fictions de la fantaisie humaine, est caché dans les résultats de l’analyse. Disséquer le corps humain, c’est détruire sa beauté ; et pourtant, par cette dissection, la science arrive à y reconnaître une beauté d’un ordre bien supérieur et que la vue superficielle n’aurait pas soupçonnée. Sans doute ce monde enchanté, où a vécu l’humanité avant d’arriver à la vie réfléchie, ce monde conçu comme moral, passionné, plein de vie et de sentiment, avait un charme inexprimable, et il se peut qu’en face de cette nature sévère et inflexible que nous a créée le rationalisme, quelques-uns se prennent à regretter le miracle et à reprocher à l’expérience de l’avoir banni de l’univers. Mais ce ne peut être que par l’effet d’une vue incomplète des résultats de la science. Car le monde véritable que la science nous révèle est de beaucoup supérieur au monde fantastique créé par l’imagination. On eût mis l’esprit humain au défi de concevoir les plus étonnantes merveilles, on l’eût affranchi des limites que la réalisation impose toujours à l’idéal, qu’il n’eut pas osé concevoir la millième partie des splendeurs que l’observation a démontrées. Nous avons beau enfler nos conceptions, nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. N’est-ce pas un fait étrange que toutes les idées que la science primitive s’était formées sur le monde nous paraissent étroites, mesquines, ridicules, auprès de ce qui s’est trouvé véritable. La terre semblable à un disque, à une colonne, à un cône, le soleil gros comme le Péloponnèse, ou conçu comme un simple météore s’allumant tous les jours, les étoiles roulant à quelques lieues sur une voûte solide, des sphères concentriques, un univers fermé, étouffant, des murailles, un cintre étroit contre lequel va se briser l’instinct de