Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/126

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offrent des manières suffisamment exactes de se représenter les faits, bien que l’expression en soit très fautive et renferme une grande part de fiction. On ne peut dire qu’il en soit ainsi mais on peut dire que les choses vont comme s’il en était ainsi. En calculant dans ces hypothèses, on arrivera à des résultats exacts, parce que l’erreur n’est que dans l’expression et l’image, non dans le schema et la catégorie elle-même.

Il y a des siècles condamnés, pour le bien ultérieur de l’humanité, à être sceptiques et immoraux. Pour passer du beau monde poétique des peuples naïfs au grand Cosmos de la science moderne, il a fallu traverser le monde atomique et mécanique. De même, pour que l’humanité se crée une nouvelle forme de croyances, il faut qu’elle détruise l’ancienne, ce qui ne peut se faire qu’en traversant un siècle d’incrédulité et d’immoralité spéculative. Je dis spéculative, car nul n’est admissible à rejeter son immoralité personnelle sur le compte de son siècle ; les belles âmes sont dans l’heureuse nécessité d’être vertueuses, et le xviiie siècle a prouvé que l’on peut allier les plus laides doctrines avec la conduite la plus pure et le caractère le plus honorable. C’est une inconséquence si l’on veut. Mais il n’y a pas d’état de l’humanité qui n’en exige, et le premier pas de celui qui veut penser est de s’enhardir aux contradictions, laissant à l’avenir le soin de tout concilier. Un homme conséquent dans son système de vie est certainement un esprit étroit. Car je le défie, dans l’état actuel de l’esprit humain, de faire concorder tous les éléments de la nature humaine. S’il veut un système tout d’une pièce, il sera donc réduit à nier et exclure.

La critique mesquine et absolue vient toujours de ce