Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/128

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Sénèque ou Tacite, en lisant ces curieuses compositions, ne les eussent pas trouvées belles, du moins au même degré que nous, initiés que nous sommes aux données de l’esthétique chrétienne. Plusieurs sectes religieuses de l’Orient, les druzes, les mendaïtes, les Ansariens, ont des livres sacrés qui leur fournissent un pain très substantiel et qui, pour nous, sont ridicules ou parfaitement insignifiants. Le sectaire est fermé à la moitié du monde. Toute secte se présente à nous avec des limites ; or, une limite quelconque est ce qu’il y a de plus antipathique à notre étendue d’esprit. Nous en avons tant vu que nous ne pouvons nous résigner à croire que l’une possède plus que l’autre la vérité absolue. Tout en reconnaissant volontiers que la grande originalité a été jusqu’ici sectaire ou au moins dogmatique, nous ne percevons pas avec moins de certitude l’impossibilité absolue de renfermer à l’avenir l’esprit humain dans aucun de ces étaux. Avec une conscience de l’humanité aussi développée que la nôtre, nous aurions bien vite fait le rapprochement, nous nous jugerions comme nous jugeons le passé, nous nous critiquerions tout vivants. Le dogmatisme sectaire est inconciliable avec la critique ; car comment s’empêcher de vérifier sur soi-même les lois observées dans le développement des autres doctrines, et comment concilier avec une telle vue réfléchie la croyance absolue. Il faut donc dire sans hésiter qu’aucune secte religieuse ne surgira désormais en Europe, à moins que des races neuves et naïves, étrangères à la réflexion, n’étouffent encore une fois la civilisation ; et alors même, on peut affirmer que cette forme religieuse aurait beaucoup moins d’énergie que par le passé, et n’aboutirait à rien de bien caractérisé. On ne se convertit pas de la finesse au béotisme. On se rappelle