Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/132

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purement science et philosophie. La réforme religieuse et sociale viendra, puisque tous l’appellent ; mais elle ne viendra d’aucune secte ; elle viendra de la grande science commune, s’exerçant dans le libre milieu de l’esprit humain.

La question de l’avenir des religions doit donc être résolue diversement, suivant le sens qu’on attache à ce mot. Si on entend par religion un ensemble de doctrines léguées traditionnellement, revêtant une forme mythique, exclusive et sectaire, il faut dire, sans hésiter, que les religions auront signalé un âge de l’humanité, mais qu’elles ne tiennent pas au fond même de la nature humaine (46) et qu’elles disparaîtront un jour. Si au contraire on entend par ce mot une croyance accompagnée d’enthousiasme, couronnant la conviction par le dévouement et la foi par le sacrifice, il est indubitable que l’humanité sera éternellement religieuse. Mais ce qui ne l’est pas moins, c’est qu’une doctrine n’a désormais quelque chance de faire fortune qu’en se rattachant bien largement à l’humanité, en éliminant toute forme particulière, en s’adressant à tout le monde, sans distinction d’adeptes et de profanes. C’est pour moi une véritable souffrance de voir des esprits distingués déserter le grand auditoire de l’humanité, pour jouer le rôle facile et flatteur pour l’amour propre de grands prêtres et de prophètes, dans des cénacles, qui ne sont encore que des clubs. Quelle différence du philosophe qui s’est appelé autrefois Pierre Leroux, au patriarche d’une petite église, entouré d’affiliés dont on se demande parfois avec hésitation : Sont-ils assez béotiens pour être des croyants ? Au nom du ciel, si vous possédez le vrai, adressez-vous donc à l’humanité tout entière. L’homme des sociétés secrètes est toujours étroit,