Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/136

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plus rare et plus difficile dans un siècle comme le nôtre, où toutes les branches de la connaissance humaine ont fait d’incontestables progrès, qu’à une époque où toutes les sciences étaient en voie de création. La conquête et la découverte supposent un éveil et amènent une exertion de force que ne peuvent connaître ceux qui n’ont qu’à marcher dans une voie déjà tracée. Quel est le philologue de nos jours qui apporte dans ses recherches l’ivresse des premiers humanistes, Pétrarque, Boccace, le Pogge, Ambroise Traversari, ces hommes si puissamment possédés par l’ardeur de savoir, portant jusqu’à la mysticité la plus exaltée le culte des études nouvelles dont ils enrichissaient l’esprit humain, souffrant les persécutions et la faim pour la poursuite de leur objet idéal ? Quel est l’orientaliste qui délire sur son objet comme Guillaume Postel ? Quel est l’astronome capable des extases de Kepler, le physicien capable des transports prophétiques des deux Bacon ? C’était alors l’âge héroïque de la science, quand tel philologue comptait parmi ses Anecdota Homère, tel autre Tite-Live, tel autre Platon. Il est commode de jeter sur ces nobles folies le mot si équivoque de pédantisme ; il est plus facile encore de montrer que ces amants passionnés de la science n’avaient ni le bon goût ni la sévère méthode de notre siècle. Mais ne pourrions-nous pas aussi leur envier leur puissant amour et leur désintéressement ?

Il n’entre pas dans mon plan de rechercher jusqu’à quel point le système d’instruction publique adopté en France est responsable du dépérissement de l’esprit scientifique. Il semble pourtant que le peu d’importance que l’on attache parmi nous à l’enseignement supérieur, le manque total de quelque institution qui corresponde à ce que sont les universités allemandes en soit une des princi-