Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/140

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l’humanité. Plus que personne, nous pensons que la science ne peut exister sans ce qu’on appelle le technique ; moins que personne nous avons de sympathie pour cette science de salon énervée dans sa forme, visant à être intéressante, science de revues demi-scientifiques, demi-mondaines. La vraie science est celle qui n’appartient ni à l’école, ni au salon, mais qui correspond directement à un besoin de l’homme ; celle qui ne porte aucune trace d’institution ou de coutume factice ; celle en un mot qui rappelle de plus près les écoles de la Grèce antique, qui en ceci comme en tout nous a offert le modèle pur du vrai et du sincère. Voyez Aristote ; certes l’appareil scientifique occupe chez lui une plus grande place que chez aucun savant moderne, Kant peut-être excepté. Il est clair que l’esprit humain, enchanté de la découverte de ces casiers réguliers de la pensée que révèle la dialectique, y attacha d’abord trop d’importance, et crut naïvement que toute pensée pouvait avec avantage se mouler dans ces formes. Et pourtant Aristote, si éminemment technique, est-il précisément scolastique ? Non. Comparez sa Rhétorique aux rhétoriques modernes qui n’en sont pourtant au fond que la reproduction affaiblie, vous aurez, d’une part, un ouvrage original, quoique d’une forme bizarre, une analyse vraie, quoique un peu vaine, d’une des faces de l’esprit humain ; de l’autre des livres profondément insignifiants, et parfaitement inutiles en dehors du collège. Comparez les Analytiques aux Logiques scolastiques de la vieille école, vous retrouverez le même contraste.

En défendant à la science les airs d’école, nous ne faisons donc point une concession à l’esprit superficiel, qu’il ne faut jamais ménager. Nous la rappelons à sa grande et belle forme, que l’esprit français sait du reste si bien com-