Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/141

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prendre. Il y a pour la science, comme pour la littérature, un bon goût, que nos compatriotes ont su parfois saisir avec une délicatesse supérieure. La science allemande n’est pas obligée sous ce rapport à autant de précautions. Elle peut se permettre des airs d’école et s’entourer d’un parfum de scolasticité, qui chez nous passeraient pour scandaleux. Faut-i! l’en féliciter ? Les esprits sérieux excusent volontiers le pédantisme. Ils savent que cette forme du travail intellectuel est souvent nécessaire, toujours excusable. Personne ne s’en offense chez les humanistes de la restauration carlovingienne, ni chez ceux de la Renaissance : il faut que l’esprit humain s’amuse d’abord quelque temps de ses découvertes et des résultats nouveaux qu’il introduit dans la science, qu’il s’en fasse un plaisir, quelquefois même un jouet, avant d’en faire un objet de méditation philosophique. Le même ton devra se retrouver et pareillement s’excuser chez l’érudit exclusif et absorbé, qui creuse sa mine avec passion, surtout si un puissant esprit ne vient pas animer ses patientes recherches, et si la simplicité de sa vie extérieure le réduit à n’être jamais qu’érudit. La haute philosophie, le commerce de la société ou la pratique des affaires peuvent seuls préserver la science du pédantisme. Mais longtemps encore il faudra pardonner aux savants de n’être ni philosophes, ni hommes du monde, ni hommes d’État, même quand ils s’intitulent, comme en Allemagne, conseillers de cour.

Notre susceptibilité à cet égard est peut-être une des causes pour lesquelles la philologie, bien que représentée en France par tant de noms illustres, est toujours retenue par je ne sais quelle pudeur, et n’ose s’avouer franchement elle-même. Nous sommes si timides contre le ridicule, que tout ce qui peut y prêter nous devient suspect ; or