Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/148

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fiants l’eussent été à des recherches plus utiles. Quand on pense que le travail intellectuel de siècles et de pays entiers, de l’Espagne, par exemple, s’est consumé lui-même, faute d’un objet substantiel, que des millions de volumes sont allés s’enfouir dans la poussière sans aucun résultat, on regrette vivement cette immense déperdition des forces humaines, qui a lieu par l’absence de direction et faute d’une conscience claire du but à atteindre. L’impression profondément triste que produit l’entrée dans une bibliothèque vient en grande partie de la pensée que les neuf dixièmes des livres qui sont là entassés ont porté à faux, et, soit par la faute de l’auteur, soit par celle des circonstances, n’ont eu et n’auront jamais aucune action directe sur la marche de l’humanité.

Il me semble que la science ne retrouvera sa dignité qu’en se posant définitivement au grand et large point de vue de sa fin véritable. Autrefois il y avait place pour ce petit rôle assez innocent du savant de la Restauration ; rôle demi-courtisanesque, manière de se laisser prendre pour un homme solide, qui hoche la tête sur les ambitieuses nouveautés, façon de s’attacher à des Mécènes ducs et pairs, qui pour suprême faveur vous admettaient au nombre des meubles de leur salon ou des antiques de leur cabinet ; sous tout cela quelque chose d’assez peu sérieux, le rire niais de la vanité, si agaçant quand il se mêle aux choses sérieuses !… Voilà le genre qui doit à jamais disparaître ; voilà ce qui est enterré avec les hochets d’une société où le factice avait encore une si grande part. C’est rabaisser la science que de la tirer du grand milieu de l’humanité pour en faire une vanité de cour ou de salon ; car le jour n’est pas loin où tout ce qui n’est pas sérieux et vrai sera ridicule. Soyons donc