Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/168

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deux mondes chez eux se touchent à peine ; la philosophie ne sort pas de la philologie, la philologie n’est pas philosophique. Que sont Denys d’Halicarnasse, Aristarque, Aphthonius, Macrobe, comparés à ces fins et excellents esprits, qui sont à un certain point de vue les philosophes du xixe siècle (61) ! Que sont des questions comme celles-ci « Pourquoi Homère a-t-il commencé le catalogue des vaisseaux par les Béotiens ? Comment la tête de Méduse pouvait-elle être à la fois aux enfers et sur le bouclier d’un Dieu ? Combien Ulysse avait-il de rameurs ? » et autres problèmes qui défrayaient les disputes des écoles d’Alexandrie et de Pergame, si on les compare à cette façon ingénieuse, compréhensive et délicate de discourir sur toutes les surfaces des choses, de cueillir la fine fleur de tous les sujets, de se promener en observateur multiple dans un coin de l’universel, que de nos jours on appelé la critique ? Une telle infériorité est du reste facile à expliquer. Les moyens de comparaison manquaient aux anciens ; partout où ils ont eu sous la main des matériaux suffisants, comme dans la question homérique, ils nous ont laissé peu à faire, excepté pour la haute critique, à laquelle la comparaison des littératures est indispensable. Ainsi leur grammaire est surtout défectueuse, parce qu’ils ne savaient que leur langue : or les grammaires particulières ne vivent que par la grammaire générale, et la grammaire générale suppose la comparaison des idiomes. Par la minutie des détails et la patience des rapprochements, les anciens ont égalé les plus absorbés des philologues modernes. Quant à la critique des textes, leur position était fort différente de la nôtre. Ils n’étaient pas comme nous en face d’un inventaire arrêté une fois pour toutes des manuscrits faisant autorité. Ils