Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/169

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devraient donc songer moins que nous à les comparer et à les compter. Aulu-Gelle, par exemple, dans les discussions critiques auxquelles il se livre fréquemment, raisonne presque toujours a priori, et n’en appelle presque jamais à l’autorité des exemplaires anciens. Aristarque, dit Cicéron, rejetait comme interpolés les vers d’Homère qui ne lui plaisaient pas (62). L’imperfection de la lexicographie, l’état d’enfance de la linguistique, jetaient aussi beaucoup d’incertitude sur l’exégèse des textes archaïques. La langue ancienne en était venue, aux époques philologiques, à former un idiome savant, qui exigeait une étude particulière, à peu près comme la langue littérale des Orientaux, et il ne faut pas s’étonner que les modernes se permettent de censurer parfois les interprétations des philologues anciens ; car ils n’étaient guère plus compétents que nous pour la théorie scientifique de leur propre langue, et nous avons incontestablement des moyens herméneutiques qu’ils n’avaient pas (63). Les anciens en effet ne savaient guère que leur propre langue, et de cette langue que la forme classique et arrêtée.

Mais c’est surtout dans l’érudition que l’infériorité de l’antiquité était sensible. Le manque de livres élémentaires, de manuels renfermant les notions communes et nécessaires (64), de dictionnaires biographiques, historiques et géographiques, etc. réduisait chacun à ses propres recherches et multipliait les erreurs mêmes sous les plumes les plus exercées (65). Où en serions-nous, si pour apprendre l’histoire ou la géographie, nous en étions réduits aux faits épars que nous avons pu recueillir dans des livres qui ne traitent pas de cette science ex professo ? La rareté des livres, l’absence des Index et de ces concordances qui facilitent si fort nos recherches, obli-