Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/170

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geaient à citer souvent de mémoire, c’est-à-dire d’une manière très inexacte. — Enfin les anciens n’avaient pas l’expérience d’un assez grand nombre de révolutions littéraires, ils ne pouvaient comparer assez de littératures pour s’élever bien haut en critique esthétique. Rappelons-nous que notre supériorité en ce genre ne date guère que de quelques années. Les anciens sous ce rapport étaient exactement au niveau de notre xviie siècle. Quand on lit les opuscules de Denys d’Halicarnasse sur Platon, sur Thucydide, sur le style de Démosthène, on croit lire les Mémoires de M. et de madame Dacier et des honnêtes savants qui remplissent les premiers volumes des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Dans le Traité du Sublime lui-même, c’est-à-dire dans la meilleure œuvre critique de l’antiquité, œuvre que l’on peut comparer aux productions de l’école française du xviiie siècle, que d’artificiel, que de puérilités (66) ! Peut-être les siècles qui savent le mieux produire le beau sont-ils ceux qui savent le moins en donner la théorie. Rien de plus insipide que ce que Racine et Corneille nous ont laissé en fait de critique. On dirait qu’ils n’ont pas compris leurs propres beautés.

Pour apprécier la valeur de la philologie, il ne faut pas se demander ce que vaut telle ou telle obscure monographie, telle note que l’érudit serre au bas des pages de son auteur favori : on aurait autant de droit de demander à quoi sert en histoire naturelle la monographie de telle variété perdue parmi les cinquante mille espèces d’insectes. Il faut prendre la révolution qu’elle a opérée ; examiner ce que l’esprit humain était avant la culture philologique, ce qu’il est devenu depuis qu’il l’a subie, quels changements la connaissance critique de l’antiquité