Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la philologie comparée. Il faut le dire : l’arbitraire n’ayant pu jouer aucun rôle dans l’invention et la formation du langage, il n’est pas un seul de nos dialectes les plus usés qui ne se rattache par une généalogie plus ou moins directe à un de ces premiers essais qui furent eux-mêmes la création spontanée de toutes les facultés humaines, « le produit vivant de tout l’homme intérieur » (Fr. Schlegel). Mais qui pourra retrouver la trace du monde primitif à travers cet immense réseau de complication artificielle, dont se sont enveloppées quelques langues, à travers ces nombreuses couches de peuples et d’idiomes qui se sont comme superposées les unes aux autres dans certaines contrées ? Réduit à ces données, le problème serait insoluble. Heureusement il est d’autres langues moins tourmentées par les révolutions, moins variables dans leurs formes, parlées par des peuples voués à l’immobilité, chez lesquels le mouvement des idées ne nécessite pas de continuelles modifications dans l’instrument des idées ; celles-là subsistent encore comme des témoins, non pas, hâtons-nous de le dire, de la langue primitive, ni même d’une langue primitive, mais des procédés primitifs au moyen desquels l’homme réussit à donner à sa pensée une expression extérieure et sociale.

Il y aurait donc à créer une psychologie primitive, présentant le tableau des faits de l’esprit humain à son réveil, des influences par lesquelles d’abord il fut dominé, des lois qui régirent ses premières apparitions. Notre vulgarité d’aperçus nous permet à peine d’imaginer combien un tel état différait du nôtre, quelle prodigieuse activité recelaient ces organisations neuves et vives, ces consciences obscures et puissantes, laissant un plein jeu libre & toute l’énergie native de leur ressort. Qui peut, dans notre état réfléchi,