Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considéré comme en voie de se faire (86). Ce n’et pas qu’auparavant le devenir et le développement ne fussent comme aujourd’hui la loi générale ; mais on ne s’en apercevait pas. La terre tournait avant Copernic, bien qu’on la crût immobile. Les hypothèses substantielles précèdent toujours les hypothèses phénoménales. La statue égyptienne, immobile et les mains collées aux genoux, est l’antécédent naturel de la statue grecque, qui vit et se meut.

Or, comment constituer l’histoire de l’esprit humain sans la plus vaste érudition et sans l’étude des monuments que chaque époque nous a laissés ? À ce point de vue, rien n’est inutile ; les œuvres les plus insignifiantes sont souvent les plus importantes, en tant que peignant énergiquement un côté des choses. C’est un étrange monument de dépression morale et d’extravagance que le Talmud : eh bien, j’affirme qu’on ne saurait avoir une idée de ce que peut l’esprit humain déraillé des voies du bon sens, si l’on n’a pratiqué ce livre unique. Ce sont des compositions bien insipides que les œuvres des poètes latins des bas siècles ; et pourtant, si on ne les a pas lus, il est impossible de se bien caractériser une décadence, de se figurer la couleur exacte des époques où la sève intellectuelle est épuisée. De toutes les littératures la plus pâle est, je crois, la littérature syriaque. Il plane sur les écrits de cette nation je ne sais quelle suave médiocrité. Cela même en fait l’intérêt : aucune étude ne fait mieux comprendre l’état médiocre de l’esprit humain. Or la médiocrité naturelle et naïve est une face de la vie humaine comme une autre ; elle a le droit qu’on s’occupe d’elle. De telles études ont peu de valeur sans doute au point de vue esthétique ; elles en ont infiniment au point de vue de la science. Il y a, certes, bien peu à apprendre et à admirer dans les poèmes latins du