Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/211

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L’esprit philosophique sait tirer philosophie de toute chose. On me condamnerait à me faire une spécialité de la science du blason, qu’il me semble que je m’en consolerais et que j’y butinerais comme en plein parterre un miel qui aurait sa douceur. On me renfermerait à Vincennes avec les Anecdota de Pez ou de Martène, et le Spicilège de d’Achery, que je m’estimerais le plus heureux des hommes. J’ai commencé, et j’aurai, j’espère, le courage d’achever un travail sur l’histoire de l’hellénisme chez les peuples orientaux (Syriens, Arabes, Persans, Arméniens, Géorgiens, etc.). Je puis affirmer sur ma conscience qu’il n’y a pas de besogne plus assommante, de spectacle plus monotone, de page plus pâle et moins originale dans l’histoire littéraire. J’espère pourtant faire sortir de cette insignifiante étude quelques traits curieux pour l’histoire de l’esprit humain ; on y verra en présence deux esprits profondément divers et incapables de se pénétrer l’un l’autre, une éducation superficielle et sans résultats durables, qui fera comprendre par contraste le fait immense de l’éducation hellénique des peuples occidentaux ; de singuliers malentendus, d’étranges contresens, décèleront des lacunes, dont la connaissance servira à dresser plus exactement la carte de l’esprit sémitique et de l’esprit indo-germanique.

Ce serait certes une œuvre qui aurait quelque importance philosophique que celle où un critique ferait d’après les sources l’histoire des Origines du christianisme : eh bien ! cette merveilleuse histoire qui, exécutée d’une manière scientifique et définitive, révolutionnerait la pensée, avec quoi faudra-t-il la construire ? Avec des livres profondément insignifiants tels que le livre d’Hénoch, le Testament des douze patriarches, le Testament de Salo-