Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/22

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Dans cinquante ans, le principe national sera en baisse. L’effroyable dureté des procédés par lesquels les anciens États monarchiques obtenaient les sacrifices de l’individu, deviendra impossible dans les États libres ; on ne se discipline pas soi-même. Personne n’a plus de goût à servir de matériaux à ces tours bâties, comme celles de Tamerlan, avec des cadavres. Il est devenu trop clair, en effet, que le bonheur de l’individu n’est pas en proportion de la grandeur de la nation à laquelle il appartient, et puis il arrive d’ordinaire qu’une génération fait peu de cas de ce pourquoi la génération précédente a donné sa vie.

Ces variations ont pour cause l’incertitude de nos idées sur le but à atteindre et sur la fin ultérieure de l’humanité. Entre les deux objectifs de la politique, grandeur des nations, bien-être des individus, on choisit par intérêt ou par passion. Rien ne nous indique quelle est la volonté de la nature, ni le but de l’univers. Pour nous autres, idéalistes, une seule doctrine est vraie, la doctrine transcendante selon laquelle le but de l’humanité est la constitution d’une conscience supérieure, ou, comme on disait autrefois, « la plus grande gloire de Dieu » ; mais cette doctrine ne saurait servir de base à une politique applicable. Un tel objectif doit, au contraire,