Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/236

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taire de tous les souvenirs nationaux ; chacun devait y recourir pour y trouver sa généalogie, la raison de tous les actes de la vie civile, politique, religieuse. Les langues classiques sont, à beaucoup d’égards, le livre sacré des modernes. Là sont les racines de la nation, ses titres, la raison de ses mots et par conséquent de ses institutions. Sans elle, une foule de choses restent inintelligibles et historiquement inexplicables. Chaque idée moderne est entée sur une tige antique ; tout développement actuel sort d’un précédent. Prendre l’humanité à un point isolé de son existence, c’est se condamner à ne jamais la comprendre ; elle n’a de sens que dans son ensemble. La est le prix de l’érudition, créant de nouveau le passé, explorant toutes les parties de l’humanité ; qu’elle en ait ou non la conscience, l’érudition prépare la base nécessaire de la philosophie.

L’éducation, plus modeste, obligée de se borner et ne pouvant embrasser tout le passé, s’attache à la portion de l’antiquité qui, relativement à chaque nation, est classique. Or, ce choix, qui ne peut jamais être douteux, l’est pour nous moins que pour tout autre peuple. Notre civilisation, nos institutions, nos langues sont construites avec des éléments grecs et latins. Donc le grec et le latin, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, nous sont imposés par les faits. Nulle loi, nul règlement ne leur a donné, ne leur ôtera ce caractère qu’ils tiennent de l’histoire. De même que l’éducation chez les Chinois et les Arabes ne sera jamais d’apprendre l’arabe ou le chinois vulgaire, mais sera toujours d’apprendre l’arabe ou le chinois littéral ; de même que la Grèce moderne ne reprend quelque vie littéraire que par l’étude du grec antique ; de même l’étude de nos langues classiques, inséparables l’une de