Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/238

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ne comprennent pas les procédés de la science. Le chimiste manipulant ses appareils ressemble fort à un manœuvre et pourtant il fait l’œuvre la plus libérale de toutes : la recherche de ce qui est. M. de Maistre peint quelque part la science moderne « les bras chargés de livres et d’instruments de toute espèce, pâle de veilles et de travaux, se traînant souillée d’encre et toute pantelante sur le chemin de la vérité, en baissant vers la terre son front sillonné d’algèbre. » Un grand seigneur, comme M. de Maistre, devait se trouver en effet humilié d’aussi pénibles investigations, et la vérité était bien irrévérencieuse de se rendre pour lui si difficile. Il devait préférer la méthode plus commode de la « science orientale, libre, isolée, volant plus qu’elle ne marche, présentant dans toute sa personne quelque chose d’aérien et de surnaturel, livrant au vent ses cheveux qui s’échappent d’une mitre orientée, son pied dédaigneux ne semblant toucher la terre que pour la quitter. » C’est le caractère et la gloire de la science moderne d’arriver aux plus hauts résultats par la plus scrupuleuse expérimentation, et d’atteindre les lois les plus élevées de la nature, la main posée sur ses appareils. Elle laisse au vieil a priori le chimérique honneur de ne chercher qu’en lui-même son point d’appui ; elle se fait gloire de n’être que l’écho des faits, et de ne mêler en rien son invention propre dans ses découvertes.

Les plus humbles procédés se trouvent ainsi ennoblis par leurs résultats. Les lois les plus élevées des sciences physiques ont été constatées par des manipulations fort peu différentes de celles de l’artisan. Si les plus hautes vérités peuvent sortir de l’alambic et du creuset, pourquoi ne pourraient-elles résulter également de l’étude des restes