Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/239

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poudreux du passé ? Le philosophe sera-t-il plus déshonoré en travaillant sur des mots et des syllabes que le chimiste en travaillant dans son laboratoire ?

Le peu de résultats qu’auront amené certaines branches des études philologiques ne sera même pas une objection contre elles. Car, en abordant un ordre de recherches, on ne peut deviner par avance ce qui en sortira, pas plus qu’on ne sait au juste, en creusant une mine, les richesses qu’on y trouvera. Les veines du métal précieux ne se laissent pas deviner. Peut-être marche-t-on à la découverte d’un monde nouveau ; peut-être aussi les laborieuses investigations auxquelles on se livre n’amèneront-elles d’autre résultat que de savoir qu’il n’y a rien à en tirer. Et ne dites pas que celui qui sera arrivé à ce résultat tout négatif aura perdu sa peine. Car, outre qu’il n’y a pas de recherche absolument stérile et qui n’amène directement ou par accident quelque découverte, il épargnera à d’autres les peines inutiles qu’il s’est données. Bien des ordres de recherches resteront-ainsi comme des mines exploitées jadis, mais depuis abandonnées, parce qu’elles ne récompensèrent pas assez les travailleurs de leurs fatigues et qu’elles ne laissent plus d’espoir aux explorateurs futurs. Il importe, d’ailleurs, de considérer que les résultats qui paraissent à tel moment les plus insignifiants peuvent devenir les plus importants, par suite de découvertes nouvelles et de rapprochements nouveaux. La science se présente toujours à l’homme comme une terre inconnue ; il aborde souvent d’immenses régions par un coin détourné et qui ne peut donner une idée de l’ensemble. Les premiers navigateurs qui découvrirent l’Amérique étaient loin de soupçonner les formes exactes et les relations véritables des parties de ce nouveau monde.