Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/241

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à coup apparaît une lumière inattendue ; sur deux ou trois points à la fois, la découverte éclate, et ce qui, auparavant, n’avait paru qu’un fait isolé et sans portée, devient, dans une combinaison nouvelle, la base de toute une théorie. Rien de plus difficile que de prédire l’importance que l’avenir attachera à tel ordre de faits, les recherches qui seront continuées et celles qui seront abandonnées. L’attraction du succin n’était aux yeux des anciens physiciens qu’un fait curieux, jusqu’au jour où autour de ce premier atome vint se construire toute une science. Il ne faut pas demander, dans l’ordre des investigations scientifiques, l’ordre rigoureux de la logique, pas plus qu’on ne peut demander d’avance au voyageur le plan de ses découvertes. En cherchant une chose, on en trouve une autre ; en poursuivant une chimère, on découvre une magnifique réalité. Le hasard, de son côté, vient réclamer sa part. Exploration universelle, battue générale, telle est donc la seule méthode possible. « On doit considérer l’édifice des sciences, disait Cuvier, comme celui de la nature… Chaque fait a une place déterminée et qui ne peut être remplie que par lui seul. » Ce qui n’a pas de valeur en soi-même peut en avoir comme moyen nécessaire.

La critique est souvent plus sérieuse que son objet. On peut commenter sérieusement un madrigal ou un roman frivole ; d’austères érudits ont consacré leur vie a des productions dont les auteurs ne pensèrent qu’au plaisir. Tout ce qui est du passé est sérieux : un jour Béranger sera objet de science et relèvera de l’Académie des Inscriptions. Molière, si enclin à se moquer des savants en us, ne serait-il pas quelque peu surpris de se voir tombé entre leurs mains ? Les profanes, et quelquefois même