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d’un théologien arriéré, pour apprendre à notre jeunesse libérale la philosophie de l’histoire !

La révolution qui a transformé la littérature en journaux ou écrits périodiques, et fait de toute œuvre d’esprit une œuvre actuelle qui sera oubliée dans quelques jours, nous place tout naturellement à ce point de vue. L’œuvre intellectuelle cesse de la sorte d’être un monument pour devenir un fait, un levier d’opinion. Chacun s’attelle au siècle pour le tirer dans sa direction ; une fois le mouvement donné, il ne reste que le fait accompli. On conçoit d’après cela un état où écrire ne formerait plus un droit à part, mais où des masses d’hommes ne songeraient qu’à faire entrer dans la circulation telles ou telles idées, sans songer à y mettre l’étiquette de leur personnalité. La production périodique devient déjà chez nous tellement exubérante, que l’oubli s’y exerce sur d’immenses proportions et engloutit les belles choses comme les médiocres. Heureux les classiques, venus à l’époque où l’individualité littéraire était si puissante ! Tel discours de nos parlements vaut assurément les meilleures harangues de Démosthène ; tel plaidoyer de Chaix-d’Est-Ange est comparable aux invectives de Cicéron ; et pourtant Cicéron et Démosthène continueront d’être publiés, admirés, commentés en classiques ; tandis que le discours de M. Guizot, de M. de Lamartine, de M. Chaix-d’Est-Ange ne sortira pas des colonnes du journal du lendemain.