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XIII


Il importe donc de bien comprendre le rôle des travaux du savant et la manière dont il exerce son influence. Son but n’est pas d’être lu, mais d’insérer une pierre dans le grand édifice. Les livres scientifiques sont un fait ; la vie du savant pourra se résumer en deux ou trois résultats, dont l’expression n’occupera peut-être que quelques lignes ou disparaîtra complètement dans des formules plus avancées. Peut-être a-t-il consigné ses recherches dans de gros volumes, que ceux-là seuls liront qui parcourent la même route spéciale que lui. Là n’est pas son immortalité ; elle est dans la brève formule où il a résumé sa vie, et qui, plus ou moins exacte, entrera comme élément dans la science de l’avenir.

L’art seul où la forme est inséparable du fond, passe tout entier à la postérité. Or, il faut le reconnaître, ce n’est point par la forme que nous valons. On lira peu les auteurs de notre siècle ; mais, qu’ils s’en consolent, on en parlera beaucoup dans l’histoire de l’esprit humain. Les monographes les liront, et feront sur eux de curieuses thèses, comme nous en faisons sur d’Urfé, sur La Boétie, sur Bodin, etc. Nous n’en faisons pas sur Racine et Corneille car ceux-là sont lus encore, et l’on ne décrit guère que les livres qu’on ne lit plus.

Quoi qu’il en soit, le progrès scientifique et philosophique est assujetti à des conditions toutes différentes de celles de l’art. Il n’y a pas précisément de progrès pour