Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/264

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tifique de l’individu. Une foule de données spéciales, apprises plus ou moins péniblement, tombent d’elles-mêmes de la mémoire ; il faut pourtant se garder de croire que pour cela elles soient perdues. Car la culture intellectuelle qui est résultée de ce travail, la marche que l’esprit a accomplie par ces études, demeurent ; et cela seul a du prix. Il en est de même dans l’éducation de l’humanité. Les éléments particuliers disparaissent, mais le mouvement accompli reste. Il y a des problèmes algébriques pour lesquels on est obligé d’employer des inconnues auxiliaires et de prendre de grands circuits. Regrette-t-on, quand le problème est résolu, que tout ce bagage ait été éliminé pour faire place à une expression toute simple et définitive ?

Loin donc que les savants spéciaux désertent l’arène véritable de l’humanité, ce sont eux qui travaillent le plus efficacement aux progrès de l’esprit, puisqu’eux seuls peuvent lui fournir les matériaux de ses constructions. Mais leurs recherches, je le répète, ne sauraient avoir leur but en elles-mêmes ; car elles ne servent pas à rendre l’auteur plus parfait ; elles n’ont de valeur que du moment où elles sont introduites dans la grande circulation. Il faut reconnaître que les savants spéciaux ont contribué à répandre sur ce point d’étranges malentendus. S’occupant exclusivement de leurs études, ils tiennent tout le reste pour inutile, et considèrent comme profanes tous ceux qui ne s’occupent pas des mêmes recherches qu’eux. Leur spécialité devient ainsi pour eux un petit monde, où ils se renferment obstinément et dédaigneusement. Et pourtant, si l’objet spécial auquel on consacre sa vie devait être pris comme ayant une valeur absolue, tous devraient s’appliquer au