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kri, créés par les instincts d’hommes primitifs. J’ai développé ce point dans un Essai sur l’Origine du Langage, inséré dans la Liberté de penser, revue philosophique (15 septembre et 15 décembre 1848).

(10) Voir, par exemple, les Considérations sur la France, de M. de Maistre. L’ingénieux publiciste a vu le défaut des réformateurs, l’artificiel, le formalisme, la fureur d’écrire et de rédiger ce qui est plus fort quand il n’est pas écrit. Mais il n’a pas vu que ces défauts étaient nécessaires comme condition d’un progrès ultérieur.

(11) Voltaire n’a pas prétendu dire autre chose dans ses nombreuses attaques contre l’optimisme : ce sont de justes satires des absurdités de son siècle.

(12) De la Démocratie en France, p. 76. Un peu plus loin on établit que la propriété territoriale est supérieure à toute autre, parce que le fruit en dépend moins de l’homme et plus des causes aveugles.

(13) L’extension plus ou moins grande qu’un peuple donne à la fatalité est la mesure de sa civilisation. Le Cosaque n’en veut à personne des coups de fouet qu’il reçoit : c’est la fatalité ; le raïa turc n’en veut à personne des exactions qu’il souffre : c’est la fatalité. L’Anglais pauvre n’en veut à personne, s’il meurt de faim : c’est la fatalité. Le Français se révolte s’il peut soupçonner que sa misère est la conséquence d’une organisation sociale réformable.

(14) Par la raison, je n’entends pas seulement la raison humaine, mais la réflexion de tout être pensant, existant ou à venir. Si je pouvais croire l’humanité éternelle, je conclurais sans hésiter qu’elle atteindrait le parfait. Mais il est physiquement possible que l’humanité soit destinée à périr ou à s’épuiser, et que l’espèce humaine elle-même s’atrophie, quand la source des forces vives et des races nouvelles sera tarie. (Lucrèce a là-dessus de sérieux arguments, liv. V, v. 381 et suiv.) Dès lors, elle n’aura été qu’une forme transitoire du progrès divin de toute chose, et du fieri de la conscience divine. Car lors même que l’humanité n’influerait pas directement sur les formes qui lui succéderont, elle aura eu son rôle dans le progrès gradué, comme rameau nécessaire pour l’apparition des rameaux plus élevés. Bien que ceux-ci ne soient pas greffés sur le premier rameau ils le seront sur le même tronc. Hegel est insoutenable dans le rôle exclusif qu’il attribue à l’humanité, laquelle n’est pas sans doute la seule forme consciente du divin, bien que ce soit la plus avancée que nous connaissions. Pour trouver le parfait et l’éternel, il faut dépasser l’humanité et plonger dans la grande mer ! Si je me disculpais ici de panthéisme, j’aurais l’air de le faire par condescendance pour une timidité soupçonneuse et de reconnaître à quelqu’un le droit d’exiger des