Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/522

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

protestations d’orthodoxie ; je ne le ferai donc pas. Qu’il me suffise de dire que je crois à une raison vivante de toute chose, et que j’admets la liberté et la personnalité humaine comme des faits évidents ; que par conséquent toute doctrine qui serait amenée logiquement à les nier serait fausse à mes yeux. J’ajouterai que le panthéisme ne parait si absurde à la plupart que parce qu’ils ne le comprennent pas, et parce qu’ils entendent le principe : Tout est Dieu, dans un sens distributif, et non dans un collectif. Tout n’est point ici synonyme de chaque, pas plus que dans cette phrase : Tous les départements de France forment un espace de tant de lieues carrées. Il y aurait peu d’absurdités comparables à celle-ci : chaque objet est Dieu. Hegel a fort bien expliqué ceci. (Cours d’esthétique, t. II, p. 108, trad. Bénard.)

(15) Qu’est-ce que la science du moyen âge, si ce n’est une dispute ? La dispute est si chère aux scolastiques, qu’ils se la réservent, se la ménagent, et disposent leurs canons de façon à n’en pas supprimer la matière. Il y a des propositions reconnues fausses que l’on ne condamne pas, pour que l’on puisse en disputer. Lisez le traité que les théologiens appellent Des lieux théologiques, vous aurez une idée de cette étrange méthode. Il ne s’agit pas du vrai, mais du controversable ; savoir n’est rien, disputer est tout.

(16) Voulez-vous un type de cette manière irrévérencieuse de traiter la science, de la prendre comme un jeu d’esprit, bon à délasser d’une vie défleurie ou à faire naître ce rire inepte, si recherché de ceux à qui est interdit le rire de bon aloi, lisez le Journal de Trévoux et en général les ouvrages scientifiques sortis de la même Compagnie, laquelle, pour le dire en passant, n’a pu produire un seul savant sérieux (Kircher peut-être excepté, lequel a bien aussi ses folies ; mais ces folies étaient celles de son siècle), et a produit par contre quelques types incomparables du charlatanisme scientifique, Bougeant, Hardouin, etc. Tout cela est du même ordre que le petit genre tout innocent et paterne des poètes de la Société, Du Cerceau, Commire, Rapin, etc. — Les travaux des bénédictins sont d’un tout autre ordre, mais ne prouvent pas contre ma thèse. Le besoin de remplir une vie calme et retirée par d’utiles travaux, des goûts studieux, l’instinct de la compilation et des collections, peuvent rendre à l’érudition d’immenses services, mais ne constituent pas l’amour pur de la science.

(17) Supposé que les égards de Descartes pour la théologie ne fussent pas purement politiques ; ce que je ne pense pas. Descartes était un esprit absolu, tout à fait dépourvu de critique ; il a bien pu croire à plein au christianisme.

(18) Cela est si vrai que les esprits à demi critiques ne se résignent