Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/55

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dogmes que l’on acceptait sans critique : le monde était une grande machine organisée de si longue main et avec si peu de réflexion, qu’on croyait que la machine venait d’être montée par Dieu même. Il n’en fut plus ainsi, aussitôt que l’humanité voulut se conduire elle-même, et reprendre en sous-œuvre le travail instinctif des siècles. Au lieu de vieilles institutions qui n’avaient pas d’origine et semblaient le résultat nécessaire du balancement des choses, on eut des constitutions faites de main d’hommes, toutes fraîches, avec des ratures, dépouillées par là du vieux prestige. Et puis, comme on connaissait les auteurs de l’œuvre nouvelle, qu’on se jugeait leur égal en autorité, que la machine improvisée avait de visibles défauts, et que l’affaire étant désormais transportée dans le champ de la discussion, il n’y avait pas de raison pour la déclarer jamais close, il en est résulté une ère de bouleversements et d’instabilité, durant laquelle des esprits lourds mais honnêtes ont pu regretter le vieil établissement. Autant vaudrait préférer les tranchantes affirmations de la vieille science, qui n’était jamais embarrassée, aux prudentes hésitations et aux fluctuations de la science moderne. Le règne non contrôlé de l’absolu en politique comme en philosophie est sans doute celui qui procure le plus de repos, et les grands seigneurs qui se trouvent bien du repos doivent aimer un tel régime. L’oscillation, au contraire, est le caractère du développement véritablement humain, et les constitutions modernes sont conséquentes, quand elles se posent des termes périodiques auxquels elles peuvent être modifiées.

Il ne faut donc pas s’étonner qu’après la disparition de l’état primitif et la destruction des vieux édifices bâtis par la conscience aveugle des siècles, il reste quelques regrets,