Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/56

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et que les nouveaux édifices soient loin d’égaler les anciens. La réflexion imparfaite ne peut reproduire dès le premier essai les œuvres de la nature humaine agissant par toutes ses forces intimes. La combinaison est aussi impuissante à reconstruire les œuvres de l’instinct que l’art à imiter le travail aveugle de l’insecte qui tisse sa toile ou construit ses alvéoles. Est-ce une raison pour renoncer à la science réfléchie, pour revenir à l’instinct aveugle ? Non certes. C’est une raison pour pousser à bout la réflexion, en se tenant assuré que la réflexion parfaite, reproduira les mêmes œuvres, mais avec un degré supérieur de clarté et de raison. Il faut espérer, marcher toujours, et mépriser en attendant les objections des sceptiques. D’ailleurs, le pas n’est plus à faire : l’humanité s’est définitivement émancipée, elle s’est constituée personne libre, voulant se conduire elle-même, et supposé qu’on profite d’un instant de sommeil pour lui imposer de nouvelles chaînes, ce sera un jeu pour elle de les briser. Le seul moyen de ramener l’ancien ordre de choses, c’est de détruire la conscience en détruisant la science et la culture intellectuelle. Il y a des gens qui le savent ; mais, je vous le jure, ils n’y réussiront pas.

Tel est donc l’état de l’esprit humain en ce siècle. Il a renversé de gothiques édifices, construits on ne sait trop comment et qui pourtant suffisaient à abriter l’humanité. Puis il a essayé de reconstruire l’édifice sur de meilleures proportions, mais sans y réussir car le vieux temple élevé par l’humanité avait de merveilleuses finesses, qu’on n’avait pas d’abord aperçues, et que les modernes ingénieurs avec toute leur géométrie ne savent point ménager. Et puis l’on est devenu difficile ; on ne veut pas s’être fatigué en pure perte. Les siècles précédents ne se plai-