Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/71

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La science vraiment digne de ce nom n’est donc possible qu’à la condition de la plus parfaite autonomie. La critique ne connaît pas le respect ; pour elle, il n’y a ni prestige ni mystère ; elle rompt tous les charmes, elle dérange tous les voiles. Cette irrévérencieuse puissance, portant sur toute chose un œil ferme et scrutateur, est, par son essence même, coupable de lèse-majesté divine et humaine. C’est la seule autorité sans contrôle ; c’est l’homme spirituel de saint Paul, qui juge tout et n’est jugé par personne. La cause de la critique, c’est la cause du rationalisme, et la cause du rationalisme, c’est la cause même de l’esprit moderne. Maudire le rationalisme, c’est maudire tout le développement de l’esprit humain depuis Pétrarque et Boccace, c’est-à-dire depuis la première apparition de l’esprit critique. C’est en appeler au moyen âge ; que dis-je ? le moyen âge a eu aussi ses hardies tentatives de rationalisme. C’est proclamer le règne sans contrôle de la superstition et de la crédulité. Il s’agit de savoir s’il faut refluer cinq siècles et blâmer un développement qui était évidemment appelé par la nécessité des choses. Or, a priori et indépendamment de tout examen, un tel développement se légitime par lui-même. Les faits accomplis ont eu raison d’être, et si l’on peut en appeler contre eux, c’est à l’avenir, jamais au passé.

Étudiez, en effet, depuis Pétrarque et Boccace, la marche de la critique moderne, vous la verrez, suivant toujours la ligne de son inflexible progrès, renverser l’une après l’autre toutes les idoles de la science incomplète, toutes les superstitions du passé. C’est d’abord Aristote, le dieu de la philosophie du moyen âge, qui tombe sous les coups des réformateurs du xve et du xvie siècle, avec son grotesque cortège d’Arabes et de commentateurs ; puis c’est