Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/73

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lesquels forcés par la science, qu’ils n’osent froisser assez hardiment, d’admettre un ordre stable de la nature, supposent seulement que l’action libre de Dieu peut parfois le changer, et conçoivent ainsi le miracle comme une dérogation à des lois établies. Mais ce concept, je le répète, n’était nullement celui des hommes primitifs. Le miracle n’était pas conçu alors comme surnaturel. L’idée de surnaturel n’apparaît que quand l’idée des lois de la nature s’est nettement formulée et s’impose même à ceux qui veulent timidement concilier le merveilleux et l’expérience. C’est là une de ces pâles compositions entre les idées primitives et les données de l’expérience, qui ne réussissent qu’à n’être ni poétiques ni scientifiques. Pour les hommes primitifs, au contraire, le miracle était parfaitement naturel et surgissait à chaque pas, ou plutôt il n’y avait ni lois ni nature pour ces urnes naïves, voyant partout action immédiate d’agents libres. L’idée de lois de la nature n’apparaît qu’assez tard et n’est accessible qu’à des intelligences cultivées. Elle manque complètement chez le sauvage, et, aujourd’hui encore, les simples supposent le miracle avec une facilité étrange.

Ce n’est pas d’un raisonnement, mais de tout l’ensemble des sciences modernes que sort cet immense résultat : Il n’y a pas de surnaturel. Il est impossible de réfuter par des arguments directs celui qui s’obstine à y croire ; il se jouera de tous les raisonnements a priori. C’est comme si l’on voulait argumenter un sauvage sur l’absurdité de ses fétiches. Le fétichiste est inconvertissable ; le moyen de l’amener à une religion supérieure n’est pas de la lui prêcher directement ; car s’il l’accepte en cet état, il ne l’acceptera que comme une autre sorte de fétichisme. Le moyen, c’est de le civiliser, de l’élever au