Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/78

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discipline. Ces instincts étant de la nature humaine, il ne faut pas les blâmer, et le vrai système moral et intellectuel saura leur faire une part mais cette part ne doit jamais être l’affaissement ni la superstition. Les grandes calamités, en humiliant l’homme et en émoussant la pointe de ses vives et audacieuses facultés, deviennent par là un véritable danger pour le rationalisme, et inspirent à l’humanité, comme les maladies à l’individu, un certain besoin de soumission, d’abaissement, d’humiliation. Il passe un vent tiède et humide, qui distend toute rigidité, amollit ce qui tenait ferme. On est presque tenté de se frapper la poitrine pour l’audace que l’on a eue en bonne santé ; les ressorts s’affaiblissent ; les instincts généreux et forts tombent ; on éprouve je ne sais quelle molle velléité de se convertir et de tomber à genoux. Si les calamités du moyen âge revenaient, les monastères se repeupleraient, les superstitions du moyen âge reviendraient. Les vieilles croyances n’ont plus d’autre ressource que l’ignorance et les calamités publiques (23). La foi sera toujours en raison inverse de la vigueur de l’esprit et de la culture intellectuelle. Elle est là derrière l’humanité attendant ses moments de défaillance, pour la recevoir dans ses bras et prétendre ensuite que c’est l’humanité qui s’est donnée à elle. Pour nous, nous ne plierons pas ; nous tiendrons ferme comme Ajax contre les dieux ; s’ils prétendent nous faire fléchir en nous frappant, ils se trompent. Honte aux timides qui ont peur ! Honte surtout aux lâches qui exploitent nos misères, et attendent pour nous vaincre que le malheur nous ait déjà à moitié vaincus.

L’éternelle objection qui éloigne du rationalisme cer-