Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/80

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côté. Il est certain que deux hommes qui auraient reçu exactement la même culture et fait les mêmes études verraient exactement de la même manière, bien qu’ils puissent sentir très différemment.

Sans doute la science ne formule pas ses résultats comme la théologie dogmatique ; elle ne compte pas ses propositions, elle n’arrête pas à un chiffre donné ses articles de foi. Ses vérités acquises ne sont pas de lourds théorèmes, qui viennent poser à plein devant les esprits les plus grossiers. Ce sont de délicats aperçus, des vues fugitives et indéfinissables, des manières de cadrer sa pensée plutôt que des données positives, des façons d’envisager les choses, une culture de finesse et de délicatesse plutôt qu’un dogmatisme positif. Mais au fond telle est la véritable forme des vérités morales : c’est les fausser que de leur appliquer ces moules inflexibles des sciences mathématiques, qui ne conviennent qu’à des vérités d’un autre ordre, acquises par d’autres procédés. Platon n’a pas de symbole, pas de propositions arrêtées, pas de principes fixes, dans le sens scolastique que nous attachons à ce mot ; c’est fausser sa pensée que de vouloir en extraire une théorie dogmatique. Et pourtant Platon représente un esprit ; Platon est une religion. Un esprit voilà le mot essentiel. L’esprit est tout, le dogme positif est peu de chose, et c’est bien merveille s’il n’est contradictoire ; que dis-je il sera nécessairement étroit, s’il ne semble contradictoire. Un esprit ne s’exprime pas par une théorie analytique, où chaque point de la science est successivement élucidé. Ce n’est ni par Oui, ni par Non, qu’il résout les problèmes délicats qu’il se pose. Un esprit s’exprime tout entier à la fois ; il est dans vingt pages comme dans tout un livre ; dans un livre comme dans une col-