Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/83

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bres, où Bossuet a commenté la mort dans un si magnifique langage, sont loin de ce que réclamerait notre manière actuelle de sentir, à cause du cadre délimité et précis où la théologie avait réduit les idées de l’autre vie. Aujourd’hui nous ne concevrions plus de grande éloquence sur une tombe sans un doute, un voile tiré sur ce qui est au delà, une espérance, mais laissée dans ses nuages, doctrine moins éloquente peut-être, mais certainement plus poétique et plus philosophique qu’un dogmatisme trop défini, donnant, si j’ose le dire, la carte de l’autre vie. Le sauvage de l’Océanie prend son île pour le monde. Plus téméraires encore sont ceux qui prétendent enserrer de lignes l’infini. Voilà pourquoi de toutes les études la plus abrutissante, la plus destructive de toute poésie et de toute intelligence, c’est la théologie.

Un système c’est une épopée sur les choses. Il serait aussi absurde qu’un système renfermât le dernier mot de la réalité qu’il le serait qu’une épopée épuisât le cercle entier de la beauté. Une épopée est d’autant plus parfaite qu’elle correspond mieux à toute l’humanité, et pourtant, après la plus parfaite épopée, le thème est encore nouveau et peut prêter à d’infinies variations, selon le caractère individuel du poète, son siècle ou la nation à laquelle il appartient. Comment sentir la nature, comment aspirer en liberté le parfum des choses, si on ne les voit que dans les formes étroites et moulées d’un système ? Je sentis cela un jour divinement en entrant dans un petit bois. Une main m’en repoussa, parce que je me figurais en ce moment la nature sous je ne sais quel aspect de physique, et je ne me réconciliai qu’en me disant bien que tout cela n’était qu’un trait saisi