Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/96

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

époque de dépression morale, et pourtant il se termine par la plus grande éruption de dévouement, d’abnégation de la vie que présente l’histoire. Étaient-ce de tremblants rhéteurs que ces philosophes, ces girondins, qui portaient si fièrement leur tête à l’échafaud ? Étaient-ce de superstitieuse illusions qui raidissaient ces nobles âmes ? Il y a, je le sais, une génération d’égoïstes, qui a grandi à l’ombre d’une longue paix, génération sceptique, née sous les influences de Mercure, sans croyance ni amour, laquelle, au premier coup d’œil, a l’air de mener le monde. Oh ! si cela était, il ne faudrait pas désespérer de l’humanité sans doute, car l’humanité ne meurt pas ; il faudrait désespérer de la France. Mais quoi ? Sont-ce ces hommes qu’on peut de bonne foi opposer comme une objection à la science et à la philosophie ? Est-ce de trop savoir qui les a amollis ? Est-ce de trop penser qui a détruit en eux le sentiment de la patrie et de l’honneur ? Est-ce de trop vivre dans le monde de l’esprit qui les a rendus inhabiles aux grandes choses ? Eux, fermés à toute idée ; eux, n’ayant pour science que celle d’un monde factice ; eux, n’ayant pour philosophie que la frivolité ! Au nom du ciel, ne nous parlez pas de ces hommes, quand il s’agit de civilisation et de philosophie ! Lors même qu’il serait prouvé que le ton de la société qui devenait de plus en plus dominant sous Louis-Philippe allait à couper le nerf des grandes choses, certes rien ne serait prouvé contre la société qu’amèneront la raison et la nature humaine développée dans sa franche vérité. Lors même qu’il serait prouvé que le monde officiel est définitivement impuissant, qu’il ne peut rien créer d’original et de fort, il ne faudrait pas désespérer de l’humanité ; car l’humanité a des sources inconnues, où elle va sans cesse